Vue aérienne d'un porte-conteneurs amarré dans un port, montrant les avantages du choix du fret maritime pour réduire l'empreinte carbone de Médecins Sans Frontières.
Cover photo © Rafael de Campos/Pexels.

Comment Médecins Sans Frontières a réduit son empreinte carbone en privilégiant le fret maritime

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Médecins Sans Frontières France a réorganisé son système d’approvisionnement pour privilégier le transport maritime et réduire le recours au transport aérien. 

L’organisation d’aide médicale Médecins Sans Frontières France approvisionne les structures de santé qu’elle soutient principalement depuis l’Europe. L’approvisionnement en médicaments et consommables médicaux, soumis à des règlementations strictes, se faisait habituellement par fret aérien, fortementémetteur de gaz à effet de serre (GES). 

Favoriser le fret maritime 

Médecins Sans Frontières France travaille depuis une dizaine d’années à la réduction du volume de marchandises transporté par avion et favorise systématiquement le transport maritime, beaucoup moins émetteur. En 2021, 67% des marchandises transportées par l’organisation sont acheminées par voie maritime et seulement 29% par voie aérienne, alors que le transport aérien représentait 70% du volume transporté dans les années 2010. 

Médecins Sans Frontières a réduit son empreinte carbone en privilégiant le fret maritime pour le transport.
© John Simmons/Unsplash.

L’enjeu central, la planification des commandes 

Ce changement est le fruit d’une réflexion menée en collaboration avec les responsables médicaux sur l’ensemble de la chaine d’approvisionnement de l’organisation. La planification des commandes médicales, réalisées dans les différentes structures de santé soutenues par MSF France, a été identifiée comme le principal levier d’amélioration. Auparavant, de nombreuses commandes « urgentes », acheminées par avion, étaient destinées à des projets réguliers et non à des projets d’urgence. Elles étaient le plus souvent destinées à pallier des ruptures de stock qui peuvent être anticipées et évitées grâce à une bonne planification. 

Les responsables medicaux, des acteur cles 

La commande est préparée au départ par les responsables médicaux de terrain qui prennent en compte des paramètres tels que la consommation, le stock existant, le stock tampon et le délai d’approvisionnement. Le travail de préparation effectué par les responsables médicaux est essentiel et complexe car les commandes peuvent comprendre de très nombreux articles dont beaucoup sont périssables ou dangereux ou nécessitent un strict respect de la chaine de froid. Après avoir été préparée par l’équipe médicale, la commande est formalisée par l’équipe logistique. Elle est ensuite validée par l’équipe de coordination du pays et confirmée par les responsables du siège. Les étapes de validation sont facilitées par l’outil informatique de gestion des commandes appelé « le portail ». Les étapes suivantes sont effectuées par la centrale d’achat de MSF France, « MSF Logistique » situé à Bordeaux, qui rassemble les articles, réalise l’emballage et organise le transport. La commande est par la suite réceptionnée sur le terrain. 

Le delai d’approvisionnement ou leadtime 

Les discussions avec les responsables médicaux ont rapidement montré qu’il y avait des incompréhensions sur un point essentiel : le délai d’approvisionnement ou « lead time ». Le délai d’approvisionnement correspond au temps qui s’écoule entre le début de la procédure de commande et la livraison de la marchandise. Mal compris, le délai d’approvisionnement était mal renseigné dans les documents, le plus souvent minimisé, engendrant une mauvaise planification, des commandes en quantités insuffisantes et donc des ruptures de stock. Des frets aériens devaient alors être organisés pour approvisionner au plus vite les structures de santé. Depuis 2016, les responsables médicaux et logistique sont régulièrement réunis lors de formations permettant de s’assurer d’une compréhension commune de la chaine d’approvisionnement et en particulier de la notion de « lead time ». 

Un homme en gilet charge des cartons dans un entrepôt de MSF Logistique.
© Theillet Laurent pour SudOuest.

L’outil de planification 

Pour mieux planifier les commandes et éviter le recours au transport aérien, MSF France a mis au point un outil, sous forme de fiches intitulées « Lead Time Performance », où le processus d’approvisionnement est décomposé en 10 étapes clés. Chaque période qui s’écoule entre les étapes forme une partie du délai d’approvisionnement. La durée de chaque segment de ce délai d’approvisionnement est précisément renseignée pour chaque pays et régulièrement mise à jour. Grâce à une bonne connaissance de la durée de chacune de ces étapes, il est facile de calculer précisément le délai d’approvisionnement total. Si le temps nécessaire à la préparation et à la livraison de la commande est bien connu, il est alors possible d’ajuster les quantités en fonction de cette durée et de faire un approvisionnement suffisant pour éviter les ruptures de stock sur le terrain. Cela permet également d’inclure une durée de transport plus longue et ainsi de faciliter le fret par voie maritime. 

Capture d'écran d'un tableau de bord montrant les performances d'une entreprise, notamment comment médecins sans frontières a réduit son empreinte carbone en privilégiant le fret maritime.
© MSF France.

L’optimisation des temps d’approvisionnement

La connaissance de chaque étape clé et de sa durée favorise les optimisations et éventuellement la superposition de certaines tâches, réduisant ainsi le délai total. Par exemple, les formalités d’exonération de taxes et de pré-dédouanement sont effectuées pendant le transport et terminées une fois le bateau arrivé à destination. Dans le cas d’un fret aérien, toute la procédure de pré-dédouanement est faite avant le départ, pour pouvoir réceptionner et surtout stocker correctement les marchandises dès l’arrivée de l’avion. Cela peut réduire de beaucoup la différence de délai entre transport maritime et transport aérien. Dans certains cas où les procédures sont particulièrement longues, parfois jusqu’à huit semaines, le transport maritime est concurrentiel.  

Une grande partie de notre travail a consisté à déconstruire la croyance des responsables médicaux selon laquelle le bateau prenait trop de temps. Caroline Blondel, responsable approvisionnement MSF France.

Les conteneurs refeers

Le transport de médicaments et produits médicaux par fret maritime n’est possible que grâce aux conteneurs réfrigérés dits « Reefer », qui sont étudiés et expérimentés depuis une dizaine d’année par MSF. Les conteneurs « Reefer », équipés d’une unité de réfrigération reliée à l’alimentation électrique du navire, maintiennent une température contrôlée pendant toute la durée du transport. Les médicaments courants sont ainsi maintenus à une température située entre 15°C et 25°C, ce qui permet de garantir la qualité des produits. MSF France étudie actuellement la possibilité de transporter les médicaments qui doivent être conservés entre 2°C et 8°C par voie maritime. 

Les equipes « appro »

Depuis les années 2010, le secteur de l’approvisionnement s’est beaucoup développé dans l’organisation et un service spécifiquement dédié au « supply » a été créé au sein du département « Logistique ». De nombreux postes spécialisés ont été créés dans les capitales et dans les projets.  

Des gestionnaires de l’approvisionnement, ou « supply managers », ainsi que des responsables de l’importation et du transport, ont rejoint les équipes dans les pays où il y a le plus d’activité. Des positions dédiées à l’approvisionnement, « supply officers » et gestionnaires de stocks, ont également renforcé les équipes sur la plupart des terrains. 

 

Des plateformes logistiques en approvisionnement direct 

Les plateformes logistiques de Dubaï, crée par MSF Logistique, de Kampala et Nairobi, créés respectivement par MSF Suisse et MSF Supply (la centrale d’achat de MSF Belgique), permettent d’approvisionner les missions avoisinantes en minimisant le transport aérien. Les plateformes sont approvisionnées directement par les fournisseurs et les marchandises ne passent donc pas par la centrale d’achat européenne. Le transport est ainsi réduit de manière conséquente, notamment lorsque les fournisseurs sont situés en Asie. La plateforme de Dubaï a permis de réduire le transport aérien à destination de l’Afghanistan et de faire du transport routier à destination du Yémen. 

Le transport maritime, beaucoup moins couteux que le transport aerien

Ce changement de mode de transport est bien sûr facilité par les économies financières réalisées, le transport maritime étant beaucoup moins coûteux que le transport aérien. « Le transport d’une tonne de marchandises en fret maritime coûte en moyenne 250 euros quand la même tonne transportée en fret aérien coûte en moyenne 5300 euros ».  

Les facteurs de succes

La réussite de ce changement est due à une analyse précise du processus de commande existant en collaboration avec les différents acteurs concernés, équipes médicales et logistiques. 

Une étude plus détaillée du processus de commande internationale et des différentes étapes composant le lead time, par pays, par zone géographique ou par type de produit, a permis d’établir des chronogrammes précis et d’optimiser l’ensemble de la chaine d’approvisionnement. 

Les commandes sont analysées en permanence de manière à identifier les commandes urgentes destinées à des projets d’urgence et qui nécessitent des frets aériens. Le transport par bateau étant privilégié pour les projets réguliers. 

Les formations réunissant les responsables médicaux, les pharmaciens et les logisticiens chargés de l’approvisionnement ont permis d’acquérir une compréhension commune des différents enjeux liés à l’approvisionnement, ainsi que des améliorations et évolutions possibles dans le domaine. 

Et maintenant? 

Selon les responsables de l’approvisionnement de MSF France il serait possible de réduire encore la part de transport aérien. Les médicaments devant être maintenus sous chaine de froid pourraient être transportés dans des conteneurs maritimes réfrigérés ayant une température intérieure constante entre 2° et 8°. Les sondes appelées « Log Tag », placées à l’intérieur du conteneur, enregistrent régulièrement la température et l’humidité, permettant ainsi de vérifier si la chaine de froid a été interrompue pendant le transport. 

La part de l’approvisionnement se faisant directement par les fournisseurs sans passer par la centrale d’achat européenne pourrait être augmentée. Il serait également possible de faire plus de transport intérieur routier dans certains pays qui ont actuellement systématiquement recours au transport aérien. Le développement de nouvelles plateformes régionales permettrait d’augmenter à la fois l’approvisionnement en mode « Direct fournisseur » et le transport routier en remplacement de l’aérien.  Les possibilités d’approvisionnement local ou régional pour des articles comme les aliments thérapeutiques, les équipements personnels de protection ou certains consommables médicaux sont également à l’étude. 

Une meilleure planification des commandes médicales, combinée avec l’utilisation de conteneurs réfrigérés, l’augmentation des équipes « supply » ou l’installation de plateformes logistiques régionales, ont permis de diminuer de manière conséquente le fret aérien au profit du maritime. La part de transport aérien, qui était de 70% dans les années 2010, ne représente plus en 2021 que 29% de l’ensemble du transport réalisé et cette proportion peut encore diminuer jusqu’à 25% dans les prochaines années, avec pour conséquence directe une réduction des émissions de GES de l’organisation. 

Photo de couverture © Rafael de Campos/Pexels.